Jour de l'indépendance

Publié le 4 Juillet 2012


 


Aujourd'hui, c'était le jour de l'indépendance et les anciens combattants paraissaient ici ou là, auréolés de leur gloire décolorée.
Applaudis ou remerciés, moqués parfois, ils n'en seraient pas pour autant guéris de leurs plaies. On ne guérit pas non – tant qu'on ne se sait pas remède et peine à la fois. C'est approximativement phonétiquement ce qu'elle avait lu. Il y avait un jeu de mot sur le « tant » qui la renvoyait au temps. Au temps qui passe et à cette étrange accumulation
d'impressions négatives proches de la défaite. Ici ou là, les hommes continuaient leur folie. L'indépendance n'avait pas le même goût selon les latitudes. Goût des feuilles arrachées à coup de défoliants au-dessus des villages, saveur de la sueur imprégnée au creux des uniformes orange flottant autour des corps de prisonniers suspects, fumet gluant de la géopolitique, odieuse odeur émanant d'une poignée de fous- furieux qui prenaient le pouvoir par la seule force de leur volonté. Les combats de papier au nom d'un dieu invisible et méchamment muet s'enchaîneraient donc indéfiniment. Au nord-Mali, les jeunes filles arrêtaient de chanter et les ballons s'immobilisaient dans la poussière du début d'été. Mais qui entendait ce qui se cachait derrière la loi des extrêmes pensait œil pour œil, dent pour dent et s'en retournait dans un sens satisfait. Communauté de bien qui n’appartient qu'à chacun. Juste retour des choses, il n'y pas de fumée dans le mot feu. Civilisation inégale. L'une au-dessus de l'autre. L'une pesamment appuyée sur l'autre. La sauvagerie a des limites. Un trait épais, rageusement appuyé au stylo feutre sur une carte d’État-major. Les anciens combattants reprenaient du bon temps. C'est si bon d'aliéner. La femme en bleu recouvrait un peu plus son voile, la jeune fille foulée à terre jurait qu'on ne l'y reprendrait plus. Crachat éructé en direction de la latérite et main passée sur le devant de la bouche. Dents noircies par la noix de kola - saignantes. Rouge à lèvres désormais interdit.
Bracelets rutilants à cacher dans les manches étirées sur les poignets enfantins. Chants serrés au fond des gorges, radios éteintes. Pendant ce temps, la communauté internationale se concentrait sur la grossesse d'une ex-première dame et une kalachnikov envoyait dans les limbes une jeune fille qui décrochait le job de son dernier été. Des mines autour de Tombouctou. Des jambes en moins. Des pieds meurtris. Et les fabricants se frottaient de nouveau les mains. Que représentaient quelques éclats de diamant noir éteints. Elle aurait voulu que cela change. Elle voulait y croire mais le sentiment d'échec persistait. Rien n'avait de sens. Les larmes versées n'y changeraient rien. Elle pouvait examiner son état au présent et y trouver les peines. Elle avait lu quelques pages assez claires pour qu'elle comprenne en quoi consistait son manque. Le bien-être n'était pas au rendez-vous du 4 juillet. Elle ne savait pas « être » ce qu'on aurait aimé qu'elle soit. Elle ne savait pas forcément montrer ce qui l'animait. Le bien-être et son côté rectiligne. La confiance en soi comme une lumière tremblotante et capricieuse. Dans l'expression deux faces de miroir opposées. Le bien et le mal. Deux valeurs morales rapportées à une sensation à la fois physique et psychique. Autour d'elle, le bien et le mal s'entremêlaient. Il lui fallait donc réfléchir au remède. Si elle acceptait de faire abstraction des considérations économiques, ce dernier était très clair. Lâcher la rampe, abandonner son poste et se tourner vers d'autres horizons, accepter d'être dépendante, se résoudre à regarder l'aventure comme aboutie. Aujourd'hui c'était le jour de l'indépendance et elle se sentait enchaînée aux racines de sa peine.


 

Rédigé par Fragon

Publié dans #Idées noires

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
ne peut que me toucher... J'ai écrit les mêmes lignes, il y a longtemps presque mot pour mot...
Répondre
F
<br /> <br /> Oui, je sais combien tu y es sensible.<br /> <br /> <br /> <br />
S
Est-ce "bien fondé" de chercher à être heureux ? Beau texte sur un jour.
Répondre
F
<br /> <br /> Je ne cherche pas à être heureuse dans un certain sens. Je respire, c'est déjà très bien.<br /> <br /> <br /> Merci de passer de temps en temps !<br /> <br /> <br /> <br />
L
il fallait certes le dire, mais aussi le bien dire.
Répondre
F
<br /> <br /> Tu vois, je n'ai même pas le courage de répondre aux commentaires... ma paresse me navre.<br /> <br /> <br /> <br />
E
penser par soi-même est un fait rare, tu t'y emploies
Répondre
F
<br /> <br /> Ma vie en France me bouscule toujours autant : j'ai tellement de mal à reprendre le contrôle du temps ... j'espère que tu vas bien.<br /> <br /> <br /> <br />
C
"La confiance en soi comme une lumière tremblotante et capricieuse." Te lire est une douleur et un bonheur.
Répondre
F
<br /> <br /> Tu m'envoies des nouvelles ?<br /> <br /> <br /> La douleur ne devrait pas procurer de bonheur. Mais je crois comprendre ce que tu me dis.<br /> <br /> <br /> <br />