Repêchage 14

Publié le 2 Août 2016

Repêchage 14

Elles ont trois ans d'écart, comme ma mère et sa sœur. Un portique bricolé se dresse dans le jardin. L'assise des balançoires est devenue lisse, galet de bois patiné par les jupes des petites. La peinture des poteaux est décolorée par endroits. La plus jeune est assise sur les genoux de la plus grande, enchantée par la vitesse pourtant très mesurée de celle qui l'entraîne. Les pieds volent, les rires pointillent le ciel et le feuillage des aulnes frémit sous le vent de mer légèrement salé. Les fleurs sauvages du jardin surveillent. Elles ont aperçu la silhouette de l'homme avant même qu'il ne franchisse le portillon et elles commentent en silence ce qui arrive. J'essaie de me mettre à sa place. Peut-il être au courant au moment où il pose les pieds dans la cuisine ? Des lettres ont-elles été échangées pendant cette période et qui auraient atténué la découverte ? Je pense à mes deux arrière-grands-mères. Elles ont vécu toutes les deux la même situation. Deux femmes totalement opposées qui ne se rencontreront jamais, même pas le jour du mariage de leurs enfants.

La nuit est longue. Les explications confuses. Les justifications tremblantes. Quelques jours passent. L'homme tergiverse, mais refuse d'accorder le moindre regard à l'enfant. Il s'enferme dans sa colère. Les sourires qu'elle lui envoie n'y feront rien. Un matin, c'est le départ avec l'aînée à la main. Une sorte de Monsieur Madeleine de bord de mer, mais à l'envers. La trahison coûtera cher aux deux femmes. La déchéance parentale sera prononcée. Ma grand-mère perdra sa sœur sans aucune explication compréhensible pour une enfant de cet âge. Où se trouve son père biologique à ce moment-là ?

Mon grand-père bougonne. Il n'en sait rien. Ce qu'il sait, c'est que ma grand-mère souffrira toute sa vie de porter le nom d'un inconnu. Aucune démarche ne sera faite par ses parents pour régulariser sa situation. Ils invoqueront le manque d'argent. Il râle encore plus violemment. Des conneries tout ça. De l'argent, plus tard, ils en auront et pas qu'un peu. Saleté de femme ! Une vraie salope oui.

Rédigé par Fragon

Publié dans #Repêchage

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A
Le passage du rire des petites filles aux fleurs sauvages qui "surveillent" est intéressant.
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F
En relisant, j'avais plutôt pensé à l’ambiguïté pour savoir qui était le "elle" dans cette phrase : Elles ont aperçu la silhouette de l'homme avant même qu'il ne franchisse le portillon et elles commentent en silence ce qui arrive.
L
La finale claque comme une gifle longuement retenue, déposé dans les silences tendues au fil des lignes la précédant.
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F
Il va donc falloir assurer pour la suite !