Repêchage 4

Publié le 18 Juillet 2016

Repêchage 4

 

Un doigt posé sur le verre, j'interroge poliment. Elle se tient au bord de l'eau. C'est un gros bloc de pierre à deux étages auxquels il faut ajouter une enfilade de combles. La carte postale est encadrée avec délicatesse. Ça résonne de cris d'enfants, une maison comme celle-là. Cavalcades dans les escaliers, hurlements de rire, cris de terreur. Alliances et stratégies de regroupements. Parfois, un des plus petits est mis en isolement forcé mais cela ne ressemble jamais à une quarantaine. Les séquestrations sont rares. Les enfants sont autant d'hirondelles qui se déplacent en ondes sinusoïdales. Même quand le père était revenu, les femmes avaient décidé de rester vivre sous le même toit. De toute façon, où auraient-elles pu aller ? Elles ont dépassé la trentaine. La tante Berthe approche la quarantaine. Ce sont des vieilles poules dont aucun coq ne pourrait se satisfaire. La France a besoin d'enfants.

Quand il revient de la guerre d'Algérie, les lettres ont été serrées dans un cuir de chèvre épais, retenu par une lanière rouge sang. La reprise est terrible. Les retrouvailles sont un échec. Fin du premier acte. C'est une femme de son milieu, une intellectuelle, une femme libre et belle. Je ne sais pas son prénom. Je pourrais le demander, on me l'accorderait peut-être. Au détour d'une question. Il n'y aurait pas de développement. Le silence retomberait aussi rapidement qu'il aurait été déchiré. Je crois bien avoir entendu ma grand-mère évoquer une photo mais cette maison est une forteresse et tout ce qui doit être invisible est férocement maintenu au secret. Je me contenterai de ça. Premier chagrin d'amour. La belle ne veut pas de lui. Effondrement sentimental. Il se replie dans une chambre au fond du couloir. L'abattement est profond, la douleur certaine. Les lettres échangées sont lues et relues. Il cherche entre les lignes ce qui n'a pas été dit, ce qui aurait pu être dit sans qu'il le découvre. Il pleure. Comme certains jeunes hommes un peu romantiques, il prend la décision qui nous permettra de venir au monde.

Le café a refroidi. Un vent de chaleur traverse le jardin. Les jasmins pourrissent sur leur pied, dégageant une odeur sucrée qui me donne envie de vivre et d'aimer. Le temps se dérobe. Ils sont presque tous morts.

Mon père adore la promenade des anglais. C'est un écossais qui ne renie pas le royaume d'Angleterre.

 

Rédigé par Fragon

Publié dans #Repêchage

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L
Hier, il était 9 h 26, aujourd'hui 8 h 22. Donc, cette femme vole le temps d'écrire au début de matinée. Et en ouverture de son présent, elle laisse remonter le passé, en sachant qu'il finira sur le lit, et quel état ! Tout est féminin dans tes mots : c'est affaire de deux femmes seules ! Combien tu sais choisir de nous empeser dans un air lourd, épais plein de l'ancienne vie d'une famille où malgré les mots on se parlait déjà peu…
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L
Oups, c'est le commentaire du suivant !
D
Il y a un rapport au temps dans ces phrases qui me charme et m'entraîne....
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F
merci ! j'ai vu votre site de poésie etc.. il me semble que je ne peux pas laisser de message. Est-ce qu'on se connaît quand j'écrivais sous soleildebrousse ?
F
Je ne sais pas. On verra à la fin. C'est perturbant quand même cette chronologie. Si j'étais lectrice, cela me fatiguerait l'oeil !
L
Oh non garde-les ! C'est un peu comme une dépression (de celle qui cloue au lit dans des draps bouchonnés, à zapper) où l'on regarde la pendule, l'heure, en ayant perdu toute notion réelle du temps, du jour "que l'on est". Dans la pelote emmêlée, les heures sont comme des aiguilles piquantes et cachées.
F
Merci, ça peut paraître complexe mais comme je supprimerai toutes les indications d'heure quand j'en aurai fini, ça sera peut-être plus fluide.
L
Petits détails brodés jusqu'au jasmin, en son état !
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F
Je pense à tes conseils. Je traque. Je relirai (relire) et relierai (relier) plus tard.